Том 4. Письма 1820-1849 - Федор Тютчев
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В письме, которое я написал ей вчера, я забыл поручить ей нечто, довольно существенное для меня, и я буду весьма обязан вам, если вы возьметесь передать ей это. Я желаю, чтобы, как только она узнает о приезде в Петербург тетушки г-жи Обрезковой, графини Соллогуб*, с которой та в постоянной переписке, — она не преминула бы познакомиться с ней и сказала бы ей, как я благодарен Обрезковым за оказанный мне прием. Признаюсь, я непременно хочу, чтобы мои чувства к ним были известны в Петербурге. Я почитаю это как бы долгом своей совести по отношению к ним.
Это письмо, любезнейшая маминька, теперь, когда судоходство прекратилось, а дороги отвратительны, придет незадолго до именин ваших и моей дочери*. Обнимите и благословите ее за меня. Мысль, что вы все в сборе, все, кого я люблю более всего на свете, что вы вместе и иногда говорите обо мне — эта мысль одна утешает меня минутами в моем теперешнем одиночестве. Но она же временами заставляет меня еще острее чувствовать его. Как поживают Дашинька и ее ребенок? Самый сердечный привет Николаю Васильевичу. А что делает Николушка? Пишет ли он вам? Приедет ли он к вам этой зимой? Ах, если еще он дополнит ваше общество — тогда — но что тогда? Я-то все-таки останусь в Турине — с несколько большим огорчением, и грустью, и завистью — но останусь.
Самый сердечный привет всем, кто меня помнит.
Вернулся ли Жуковский?* Наверное, нет. Но как только он приедет, постарайтесь сблизиться с ним ради меня и посоветуйте также Нелли познакомиться с ним и поддерживать это знакомство.
Оканчивая письмо, я замечаю, что почти ничего не сказал вам об образе жизни, который здесь веду. Это лишь потому, что нечего о нем сказать. Утром я читаю и гуляю. Окрестности Турина великолепны, и погода пока стоит прекрасная. Каждый день голубое небо, и на деревьях есть еще листья. Затем я обедаю у Обрезковых. Это самое приятное время дня. Я беседую с ними до 8–9 вечера, потом возвращаюсь к себе, опять читаю и ложусь спать — что собираюсь сделать и сейчас, — а назавтра то же самое.
Я завел несколько знакомств среди дипломатического корпуса и даже среди местного общества, но все это так бессвязно, так бестолково.
Скажите, для того ли родился я в Овстуге, чтобы жить в Турине? Жизнь, жизнь человеческая, куда какая нелепость! Ох, простите — целую ваши ручки от всего сердца.
Ф. Тютчев
Тютчевым И. Н., Е. Л. и Эл. Ф., 13/25 декабря 1837*
40. И. Н., Е. Л. и Эл. Ф. ТЮТЧЕВЫМ 13/25 декабря 1837 г. ТуринС Новым годом
поздравляю!
Ce 13/25 décembre 1837
Ces distances sont vraiment accablantes. Voici devant moi votre lettre du 16/28 novembre qui n’est qu’une réponse à la première que je vous ai écrite à mon arrivée ici. Eh bien, cette lettre, je ne l’ai reçue qu’avant-hier. Deux mois entiers pour que la parole parvienne d’un interlocuteur à l’autre. Comme c’est fait pour animer la conversation. Cependant en dépit de l’énormité de la distance, je ne conçois rien à la lenteur de vos lettres, votre dernière est restée 25 jours en chemin, tandis que la gazette de Pétersb<ourg> nous arrive ici deux fois par semaine, le 17ème jour. Quant à la correspondance de ma femme, c’est encore pis. Je vois par sa lettre de 16/28 nov<em>bre incluse dans la vôtre, qu’à cette époque elle n’avait pas encore reçu un seul des cinq ou six — non pas lettres — mais volumes que je lui ai écrites d’ici et que <je> lui ai adressées par la voie de l’Ambassade de France, ainsi qu’elle-même me l’avait recommandé. Je ne puis supposer que ces lettres ne lui soient pas parvenues. Il me tarde beaucoup toutefois d’être complètement rassuré à ce sujet. En attendant, veuillez-lui communiquer celle-ci. Je lui écrirai sous peu de jours et si, comme il est probable, la lettre devient volumineuse, je l’adresserai de nouveau à Sercey*.
En vous donnant de mes nouvelles, je voudrais bien pouvoir vous dire que je commence à me plaire à Turin, mais ce serait là faire un très grand mensonge. Non, en vérité je ne m’y plais guères et il n’y a que l’absolue nécessité qui puisse me faire accepter une existence pareille. Elle est vide de toute espèce d’intérêt et me fait l’effet d’un mauvais spectacle et qui est d’autant plus insipide, quand il ennuie, que le seul mérite qu’il pourrait avoir, c’est serait d’amuser. Il en est de même de l’existence à Turin. Elle est nulle sous le rapport des affaires et plus nulle encore sous le rapport de l’agrément. Revenu dans les premiers jours de ce mois de Gênes* qui m’a infiniment plu, j’ai fait quelques tentations pour élargir un peu le cercle de mes connaissances d’ici. Parmi celles que j’ai faites en dernier lieu il y a assurément quelques femmes aimables et dont la société dans tout autre pays serait d’une grande ressource. Mais ici tout cela échoue contre un ensemble d’habitudes inhospitalières et insociables. Ainsi, p<ar> ex<emple>, dès aujourd’hui toute réunion cesse, l’ombre même de société va disparaître. Et savez-vous pourquoi? C’est qu’aujourd’hui le théâtre se rouvre. Or, ici le théâtre c’est tout. Sans exagération aucune, la société toute entière va pour les deux mois du carnaval s’y établir à demeure. Ce n’est plus que là qu’on peut la rencontrer. Il ne reste en ville que les infirmes et les mourants. Hier soir on a pris formellement coup les uns des autres, et tous les salons se sont fermés jusqu’à la fin du carnaval. On pourrait supposer d’après cela que le spectacle, au moins, un grand amusement. Il n’en est rien pourtant. Car nous n’aurons pour nous amuser pendant deux mois entiers que deux pièces toujours les mêmes qu’après la 4–5ème représentation personne, comme de raison, ne se donne la peine d’écouter. Le plaisir consiste de courir de loge en loge, en restant cinq minutes dans chacune. Il y a, comme je vous l’ai dit, quelques femmes fort aimables et je crois que ceux qui ont l’honneur d’être leurs amants se trouvent très bien de leur société. Mais il faut nécessairement ou l’être, ou l’avoir été, ou prétendre à l’être pour être admis chez elles. C’est si vrai, que l’homme que vous avez le moins de chances de rencontrer dans une maison, c’est le maître de la maison. En général on ne se fait nulle idée au-delà des Alpes du relâchement de mœurs qu’on trouve dans ce pays-ci. Mais le désordre dans ce genre y est si général, si uniforme qu’il a pris toutes les apparences de l’ordre, et il faut du temps pour s’en apercevoir. Tout cela, il est vrai, m’était déjà connu. Mais on a beau savoir une chose, il faut s’être mis en sa présence pour savoir au juste l’effet qu’elle produira sur vous. C’est dans ce pays qu’il faudrait envoyer toutes les gens à imagination romanesque. Rien ne serait plus propre à les guérir que la vue de ce qui se passe ici. Car ce qui partout ailleurs est matière à roman, l’effet de quelque passion qui bouleverse l’existence et finit par l’abîmer est ici le résultat darrangement à l’amiable et ne dérange pas plus l’ordre habituel de la vie, que ne le fait de déjeuner ou de dîner… Je n’ai pas entendu parler ici d’une femme perdue. Mais je n’en ai pas rencontré une seule, dont on ne m’ait pas officiellement désigné l’amant ou les amants. Et cela sans nulle intention de médisance, pas plus que si on m’avait dit, en me montrant une voiture passer dans la rue: c’est la voiture de Mad. une telle… Tout ce que je vous dis là, une fois écrit, paraît un lieu commun. Mais vu en réalité et de près, cela ne laisse pas que d’être assez piquant. Il en est de même d’une autre circonstance propre au pays. C’est à côté de cette facilité de mœurs, l’extrême dévotion qu’il y a ici, dans les femmes surtout. Aussi pendant le temps de l’avent, qui vient de finir, les églises étaient combles. La ville entière avait l’air d’un couvent. Pas de spectacle, de bal, ni de concert. Pour toute récréation le sermon le matin. Aussi les femmes, je parle de celles de la plus haute société, y étaient-elles en foule. Et quel sermon! Quelle rigueur, quelle austérité, quelle intolérance! Le soir, il est vrai, personne n’y songeait plus.
Mes rapports avec la famille Obrescoff sont toujours de la nature la plus satisfaisante. Je dîne tous les jours chez eux comme par le passé et j’y passe ordinairement ma soirée. Ce n’est pas que je m’y amuse excessivement. Cette intimité forcée a même quelque chose qui me gêne parfois. Mais ce n’est pas à changer. Il leur venait un peu plus de monde dans ces derniers temps. Mais maintenant que le théâtre s’est rouvert tout cela va cesser. Sa femme est déjà très avancée dans sa grossesse. C’est à la fin de janvier qu’elle doit accoucher. Elle est très bien jolie, ayant beaucoup de tact, de la tenue. Mais elle dépérit d’ennui ici. En effet, il n’est pas agréable, après cinq ans du séjour dans un pays, de s’y trouver aussi étrangers qu’ils le sont ici. Et il faut le dire, la faute n’en est pas toute entière à la société de Turin. Obrescoff, je dois le reconnaître, est loin d’avoir dans ses rapports avec les indigènes la même obligeance que celle, p<ar> ex<emple>, dont il fait preuve envers moi. Il ne leur dissimule pas assez le peu de sympathie qu’ils lui inspirent et son désir extrême de les quitter.
La mission vient de s’accroître d’un jeune attaché, un Mr Tom-Have, hanovrien, autrefois secrétaire du Prince d’Oldenbourg* et que celui-ci, pour s’en débarrasser, je crois, vient de lancer d’un coup de pied dans la carrière diplomatique. C’est un bon diable, grand, raide, candide, un peu poitrinaire et se sentant malheureux, comme doit l’être un homme qui tombe des nues à Turin. Faute de mieux il s’est tendrement attaché à moi et a élu domicile dans la maison où je me suis logé. Car, à mon retour de Gênes, j’ai quitté l’auberge pour me mettre en garni. J’occupe un appartement, composé de deux pièces, avec une toute petite chambre pour le domestiqie que je paie 100 fr<ancs> par mois — meublé bien entendu. C’est tout ce que j’ai pu trouver de moins cher.
Simonetti* est ici depuis quelques jours. Il me paraît ici moins endormi, moins solennel qu’à Pétersb<ourg>, mais non, certes, moins réservé. On dit ici qu’il ne retourne plus à son poste. Mais c’est un bruit dont on ne manque jamais de saluer ici tout diplomate du pays qui revient en congé à Turin. C’est une coutume locale. Il me charge de mille tendresses pour Nelly.
J’ai reçu dernièrement une lettre de Potemkine en réponse à celle que je lui avais écrite de Gênes*. Il ne ferait qu’arrêter à Rome, et s’y trouvait encore tout dépaysé. Sa lettre, comme d’ordinaire, est pleine d’amitié. Il en a écrit en même temps et de son propre mouvement, une autre à Obrescoff pour me recommander instamment à lui, le brave, cher homme. C’est un crime au Vice-Chancelier de désunir deux cœurs, si bien faits l’un pour l’autre.
Je suppose, d’après ce que vous me dites de la prolongation de congé accordé à Nicolas, que cette lettre ne le trouvera plus à Pétersb<ourg>. Qu’en avez-vous fait, qu’en avez-vous obtenu? Se prête-t-il au mariage? Mille amitiés à Dorothée et à son mari. Lprospère-t-il?
Maintenant j’en viens à ma femme. Patience, mon ami. Je t’écrirai dans quelques jours. Mais ce que je puis te certifier dès à présent, c’est que le retard de tes lettres me fait passer de rudes moments. L’avant-dernière était du 13 novembre, et ce n’est que le 23 décembre que j’ai reçue la dernière qui est du 16/28 n<ovem>bre. Toutes celles que tu m’écrivais par Sercey prennent le chemin de Paris et n’arrivent ici qu’au bout de 22 jours. Ce sont-là les enjolivements de l’absence. Dans ma prochaine lettre je te parlerai à fond de ma position tant au-dehors qu’à l’intérieur. Qu’il te suffise de savoir qu’il n’y a pas de moment dans la journée où tu ne me manques. Je ne souhaite à personne d’apprendre à <1 нрзб> et par sa propre expérience tout ce que cette phrase renferme. Je t’ai parlé de mon projet*. Je saurai dans quelques jours par la réponse de Rome et de Naples, s’il peut être mis à exécution. Au cas que non, j’ai une autre proposition à te faire. Soigne bien ta santé. Vas-tu dans le monde? Chez la Comtesse Nesselrode, p<ar> ex<emple>. Fais-le, je t’en prie. C’est essentiel pour moi. Les affaires d’argent sont-elles réglées de la manière que je l’avais désiré? Comment se portent les enfants? Que font les Krüdener? Dans ma prochaine lettre pour toi il y en aura une incluse pour Amélie. J’ai eu des nouvelles de Maltitz. Il se sent très malheureux de sa position. Clotilde est, je crois, allée avec sa tante à Farnbach. Dans la lettre que je lui ai écrite en réponse à la sienne* je lui parle beaucoup de ta sœur et suis curieux de voir quel en sera le résultat.