Французский с любовью. Тристан и Изольда / Le roman de Tristan et Iseut - Н. Долгорукова
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Il prit sur son poing un grand autour, il prit un drap de couleur rare, une coupe bien ciselée : il en fit présent au roi Marc et lui demanda courtoisement sa sauvegarde et sa paix, afin qu’il pût trafiquer en sa terre, sans craindre nul dommage de chambellan ni de vicomte. Et le roi le lui octroya devant tous les hommes de son palais. Alors, Kaherdin offrit à la reine un fermail ouvré d’or fin : « Reine, dit-il, l’or en est bon », et, retirant de son doigt l’anneau de Tristan, il le mit à côté du joyau. « Voyez, reine ; l’or de ce fermail est plus riche et pourtant l’or de cet anneau a bien son prix ».
Quand Iseut reconnut l’anneau de jaspe vert, son cœur frémit et sa couleur mua, et, redoutant ce qu’elle allait ouïr, elle attira Kaherdin à l’écart, près d’une croisée, comme pour mieux voir et marchander l’anneau. Kaherdin lui dit simplement : « Dame, Tristan est blessé d’une épée empoisonnée et va mourir. Il vous mande que, seule, vous pouvez lui porter réconfort. Il vous rappelle les grandes peines et les douleurs subies ensemble. Gardez cet anneau, il vous le donne ».
Iseut répondit, défaillante : « Ami, je vous suivrai. Demain, au matin, que votre nef soit prête à l’appareillage ». Le lendemain, au matin, la reine dit qu’elle voulait chasser au faucon et fit préparer ses chiens et ses oiseaux. Mais le duc Andret, qui toujours guettait, l’accompagna. Quand ils furent aux champs, non loin du rivage de la mer, un faisan s’enleva. Andret laissa aller un faucon pour le prendre, mais le temps était clair et beau, le faucon s’essora et disparut. « Voyez, sire Andret, dit la reine, le faucon s’est perché là-bas, au port, sur le mât d’une nef que je ne connaissais pas. À qui est-elle ? – Dame, fit Andret, c’est la nef de ce marchand de Bretagne qui hier vous fit présent d’un fermail d’or. Allons-y reprendre notre faucon ».
Kaherdin avait jeté une planche, comme un ponceau, de sa nef au rivage. Il vint à la rencontre de la reine : « Dame, s’il vous plaisait, vous entreriez dans ma nef, et je vous montrerais mes riches marchandises. – Volontiers, sire », dit la reine. Elle descend de cheval, va droit à la planche, la traverse, entre dans la nef. Andret veut la suivre, et s’engage sur la planche : mais Kaherdin, debout sur le plat bord, le frappe de son aviron ; Andret trébuche et tombe dans la mer. Il veut se reprendre ; Kaherdin le refrappe à coups d’aviron et le rabat sous les eaux, et crie : « Meurs, traître ! Voici ton salaire pour tout le mal que tu as fait souffrir à Tristan et à la reine Iseut ! » Ainsi Dieu vengea les amants des félons qui les avaient tant haïs ! Tous quatre sont morts : Guenelon, Gondoïne, Denoalen, Andret.
L’ancre était relevée, le mât dressé, la voile tendue. Le vent frais du matin bruissait dans les haubans et gonflait les toiles. Hors du port, vers la haute mer toute blanche et lumineuse au loin sous les rais du soleil, la nef s’élança. A Carhaix, Tristan languit. Il convoite la venue d’Iseut. Rien ne le conforte plus, et, s’il vit encore, c’est qu’il l’attend. Chaque jour, il envoyait au rivage, guetter si la nef revenait, et la couleur de sa voile ; nul autre désir ne lui tenait plus au cœur. Bientôt il se fit porter sur la falaise de Penmarch, et, si longtemps que le soleil se tenait encore à l’horizon, il regardait au loin la mer.
Écoutez, seigneurs, une aventure douloureuse, pitoyable à tous ceux qui aiment. Déjà Iseut approchait ; déjà la falaise de Penmarch surgissait au loin, et la nef cinglait plus joyeuse. Un vent d’orage grandit tout à coup, frappe droit contre la voile et fait tourner la nef sur elle-même. Les mariniers courent au lof, et contre leur gré virent vent arrière. Le vent fait rage, les vagues profondes s’émeuvent, l’air s’épaissit en ténèbres, la mer noircit, la pluie s’abat en rafales[64]. Haubans et boulines se rompent, les mariniers baissent la voile et louvoient au gré de l’onde et du vent ; ils avaient, pour leur malheur, oublié de hisser à bord la barque amarrée à la poupe et qui suivait le sillage de la nef. Une vague la brise et l’emporte.
Iseut s’écrie : « Hélas ! Chétive ! Dieu ne veut pas que je vive assez pour voir Tristan, mon ami, une fois encore, une fois seulement ; il veut que je sois noyée en cette mer. Tristan, si je vous avais parlé une fois encore, je me soucierais peu de mourir après. Ami, si je ne viens pas jusqu’à vous, c’est que Dieu ne le veut pas, et c’est ma pire douleur. Ma mort ne m’est rien : puisque Dieu le veut, je l’accepte ; mais, ami, quand vous le saurez, vous mourrez, je le sais bien. Notre amour est de telle guise que vous ne pouvez mourir sans moi, ni moi sans vous. Je vois votre mort devant moi en même temps que la mienne. Hélas ! Ami, j’ai failli à mon désir : il était de mourir dans vos bras, d’être ensevelie dans votre cercueil ; mais nous y avons failli. Je vais mourir seule, et sans vous, disparaître dans la mer. Peut-être vous ne saurez pas ma mort, vous vivrez encore, attendant toujours que je vienne. Si Dieu le veut, vous guérirez même… Ah ! peut-être après moi vous aimerez une autre femme, vous aimerez Iseut aux Blanches Mains ! Je ne sais ce qui sera de vous : pour moi, ami, si je vous savais mort, je ne vivrais guère après. Que Dieu nous accorde, ami, ou que je vous guérisse, ou que nous mourions tous deux d’une même angoisse ! »
Ainsi gémit la reine, tant que dura la tourmente. Mais après cinq jours, l’orage s’apaisa. Au plus haut du mât Kaherdin hissa joyeusement la voile blanche, afin que Tristan reconnût de plus loin sa couleur. Déjà Kaherdin voit la Bretagne… Hélas ! Presque aussitôt le calme suivit la tempête, la mer devint douce et toute plate, le vent cessa de gonfler la voile, et les mariniers louvoyèrent vainement en amont et en aval, en avant et en arrière. Au loin ils apercevaient la côte, mais la tempête avait emporté leur barque, en sorte qu’ils ne pouvaient atterrir. À la troisième nuit, Iseut songea qu’elle tenait en son giron la tête d’un grand sanglier qui honnissait sa robe de sang, et connut par là qu’elle ne reverrait plus son ami vivant.
Tristan était trop faible désormais pour veiller encore sur la falaise de Penmarch, et depuis de longs jours, enfermé loin du rivage, il pleurait pour Iseut qui ne venait pas. Dolent et las, il se plaint, soupire, s’agite ; peu s’en faut qu’il ne meure de son désir. Enfin, le vent fraîchit et la voile blanche apparut. Alors, Iseut aux Blanches Mains se vengea. Elle vient vers le lit de Tristan et dit : « Ami, Kaherdin arrive. J’ai vu sa nef en mer : elle avance à grand’peine ; pourtant je l’ai reconnue ; puisse-t-il apporter ce qui doit vous guérir! » Tristan tressaille : « Amie belle, vous êtes sûre que c’est sa nef ? Or, dites-moi comment est la voile. – Je l’ai bien vue, ils l’ont ouverte et dressée très haut, car ils ont peu de vent. Sachez qu’elle est toute noire ».
Tristan se tourna vers la muraille et dit : « Je ne puis retenir ma vie plus longtemps ». Il dit trois fois : « Iseut, amie! ». À la quatrième, il rendit l’âme. Alors, par la maison, pleurèrent les chevaliers, les compagnons de Tristan. Ils l’ôtèrent de son lit, l’étendirent sur un riche tapis et recouvrirent son corps d’un linceul. Sur la mer, le vent s’était levé et frappait la voile en plein milieu. Il poussa la nef jusqu’à la terre. Iseut la Blonde débarqua. Elle entendit de grandes plaintes par les rues, et les cloches sonner aux moutiers, aux chapelles. Elle demande aux gens du pays pourquoi ces glas, pourquoi ces pleurs. Un vieillard lui dit : « Dame, nous avons une grande douleur. Tristan, le franc, le preux, est mort. Il était large aux besoigneux, secourable aux souffrants. C’est le pire désastre qui soit jamais tombé sur ce pays ».
Iseut l’entend, elle ne peut dire une parole. Elle monte vers le palais. Elle suit la rue, sa guimpe déliée. Les Bretons s’émerveillaient à la regarder ; jamais ils n’avaient vu femme d’une telle beauté. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Auprès de Tristan, Iseut aux Blanches Mains, affolée par le mal qu’elle avait causé, poussait de grands cris sur le cadavre. L’autre Iseut entra et lui dit : « Dame, relevez-vous et laissez-moi approcher. J’ai plus de droits à le pleurer que vous, croyez-m’en. Je l’ai plus aimé ».
Elle se tourna vers l’orient et pria Dieu. Puis elle découvrit un peu le corps, s’étendit près de lui, tout le long de son ami, lui baisa la bouche et la face, et le serra étroitement : corps contre corps, bouche contre bouche, elle rend ainsi son âme, elle mourut auprès de lui pour la douleur de son ami.
Quand le roi Marc apprit la mort des amants, il franchit la mer et, venu en Bretagne, fit ouvrer deux cercueils, l’un de chalcédoine pour Iseut, l’autre de béryl pour Tristan. Il emporta sur sa nef vers Tintagel leurs corps aimés. Auprès d’une chapelle, à gauche et à droite de l’abside, il les ensevelit en deux tombeaux. Mais, pendant la nuit, de la tombe de Tristan jaillit une ronce verte et feuïllue, aux forts rameaux, aux fleurs odorantes, qui, s’élevant par-dessus la chapelle, s’enfonça dans la tombe d’Iseut. Les gens du pays coupèrent la ronce : au lendemain elle renaît, aussi verte, aussi fleurie, aussi vivace, et plonge encore au lit d’Iseut la Blonde. Par trois fois ils voulurent la détruire ; vainement. Enfin, ils rapportèrent la merveille au roi Marc : le roi défendit de couper la ronce désormais.
Seigneurs, les bons trouvères d’antan, Béroul, et Thomas, et monseigneur Eilhart et maître Gottfried, ont conté ce conte pour tous ceux qui aiment, non pour les autres. Ils vous mandent par moi leur salut. Ils saluent ceux qui sont pensifs et ceux qui sont heureux, les mécontents et les désireux, ceux qui sont joyeux et ceux qui sont troublés, tous les amants. Puissent-ils trouver ici consolation contre l’inconstance, contre l’injustice, contre le dépit, contre la peine, contre tous les maux d’amour !
Французско-русский словарь к тексту
Aaabois m, pl – лай собак, затравивших зверя
absoudre – прощать
accoler – обнимать; соединять; располагать
alérion m – большой орёл
amble m – иноходь
amendise f – устар. возмещение
anneau m – кольцо
appareiller – сниматься с якоря, отплывать
apprêt m – выделка
âpre – суровый
arroi m – свита
assaillir – атаковать; осаждать
assener – нанести (удар и т.п.)
Bbban m – публичное заявление, объявление
bander – натягивать (лук); перевязывать
baume m – бальзам
béquille f – упор, подпорка, костыль; дверная ручка
béryl m – берилл
besant m – бизантий (византийская монета)
besogne f – работа, труд; нужда
besogneux – нуждающийся
blêmir – бледнеть
bliaut m – блио (длинная туника)
bocage m – роща
bondir – подскакивать, прыгнуть; броситься
bouline f – булинь, беседочный узел
bourdon m – посох
bourg m – местечко, городок
boutoir m –клык
brachet m – охотничья собака (разновидность легавой)
branchage m – ветви
brandir – размахивать; угрожать
brasier m – горящие угли; пылающий костёр
bretèche f – ист. балкон на фасаде ратуши
breuvage m – напиток
brisure f – трещина, надлом
brocher – ткать золотом; пришпоривать
brou de noix m – коричневая краска
buccin m – букцинум, военная труба
bûmes (boire) – выпили
butor m – выпь
Cccamelin m – устар. камлот (ткань)
carène f – поэтич. судно
céans – здесь, дома
ceignit (ceindre) – опоясывал, окружал
cendal m – шёлковая ткань
chalcédoine – халцедон
chancel m – ограда хоров (в центре)
chape f – плащ
charbon m – уголь
chardon m – чертополох
chasteté f – целомудрие
chasuble f – церк. риза
chat-huant m – неясыть
chatoyer – отливать разными цветами, сверкать
chausses f pl – поножи (доспехи, защищавшие ноги воина)
chétif – тщедушный, жалкий
chevaucher – ездить верхом, оседлать
chevet m – проход позади хоров (в церкви); изголовье
cilice m – власяница