Цветы зла - Шарль Бодлер
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CXI
FEMMES DAMNÉES
Comme un bétail pensif sur le sable couchées,Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers,Et leurs pieds se cherchent et leurs mains rapprochéesOnt de douces langueurs et des frissons amers.
Les unes, cœurs épris des longues confidences,Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,Vont épelant l'amour des craintives enfancesEt creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux;
D'autres, comme des sœurs, marchent lentes et gravesÀ travers les rochers pleins d'apparitions,Où Saint Antoine a vu surgir comme des lavesLes seins nus et pourprés de ses tentations;
Il en est, aux lueurs des résines croulantes,Qui dans le creux muet des vieux antres païensT'appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,Ô Bacchus, endormeur des remords anciens!
Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires,Qui, recelant un fouet sous leurs longs vêtements,Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,L'écume du plaisir aux larmes des tourments.
Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,De la réalité grands esprits contempteurs,Chercheuses d'infini, dévotes et satyres,Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,
Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,Pauvres sœurs, je vous aime autant que je vous plains,Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,Et les urnes d'amour dont vos grands cœurs sont pleins!
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CXII
LES DEUX BONNES SŒURS
La Débauche et la Mort sont deux aimables filles,Prodigues de baisers et riches de santé,Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenillesSous l'éternel labeur n'a jamais enfanté.
Au poète sinistre, ennemi des familles,Favori de l'enfer, courtisan mal renté,Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmillesUn lit que le remords n'a jamais fréquenté.
Et la bière et l'alcôve en blasphèmes fécondesNous offrent tour à tour, comme deux bonnes sœurs,De terribles plaisirs et d'affreuses douceurs.
Quand veux-tu m'enterrer, Débauche aux bras immondes?Ô Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits,Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès?
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CXIII
LA FONTAINE DE SANG
Il me semble parfois que mon sang coule à flots,Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.Je l'entends bien qui coule avec un long murmure,Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.
À travers la cité, comme dans un champ clos,Il s'en va, transformant les pavés en îlots,Désaltérant la soif de chaque créature,Et partout colorant en rouge la nature.
J'ai demandé souvent à des vins captieuxD'endormir pour un jour la terreur qui me mine;Le vin rend œil plus clair et l'oreille plus fine!
J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux;Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguillesFait pour donner à boire à ces cruelles filles!
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CXIV
ALLÉGORIE
C'est une femme belle et de riche encolure,Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.Les griffes de l'amour, les poisons du tripot,Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.Elle rit à la Mort et nargue la Débauche,Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,Dans ses jeux destructeurs a pourtant respectéDe ce corps ferme et droit la rude majesté.Elle marche en déesse et repose en sultane;Elle a dans le plaisir la foi mahométane,Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,Elle appelle des yeux la race des humains.Elle croit, elle sait, cette vierge infécondeEt pourtant nécessaire à la marche du monde,Que la beauté du corps est un sublime donQui de toute infamie arrache le pardon.Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire,Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire,Elle regardera la face de la Mort,Ainsi qu'un nouveau-né, - sans haine et sans remord.
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CXV
LA BÉATRICE
Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure,Comme je me plaignais un jour à la nature,Et que de ma pensée, en vaguant au hasard,J'aiguisais lentement sur mon cœur le poignard,Je vis en plein midi descendre sur ma têteUn nuage funèbre et gros d'une tempête,Qui portait un troupeau de démons vicieux,Semblables à des nains cruels et curieux.À me considérer froidement ils se mirent,Et, comme des passants sur un fou qu'ils admirent,Je les entendis rire et chuchoter entre eux,En échangeant maint signe et maint clignement d'yeux:
— "Contemplons à loisir cette caricatureEt cette ombre d'Hamlet imitant sa posture,Le regard indécis et les cheveux au vent.N'est-ce pas grand'pitié de voir ce bon vivant,Ce gueux, cet histrion en vacances, ce drôle,Parce qu'il sait jouer artistement son rôle,Vouloir intéresser au chant de ses douleursLes aigles, les grillons, les ruisseaux et les fleurs,Et même à nous, auteurs de ces vieilles rubriques,Réciter en hurlant ses tirades publiques?"
J'aurais pu (mon orgueil aussi haut que les montsDomine la nuée et le cri des démons)Détourner simplement ma tête souveraine,Si je n'eusse pas vu parmi leur troupe obscène,Crime qui n'a pas fait chanceler le soleil!La reine de mon cœur au regard nonpareil,Qui riait avec eux de ma sombre détresseEt leur versait parfois quelque sale caresse.
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CXVI
UN VOYAGE À CYTHÈRE
Mon cœur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeuxEt planait librement à l'entour des cordages;Le navire roulait sous un ciel sans nuages,Comme un ange enivré d'un soleil radieux.
Quelle est cette île triste et noire? — C'est Cythère,Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons,Eldorado banal de tous les vieux garçons.Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.
— Île des doux secrets et des fêtes du cœur!De l'antique Vénus le superbe fantômeAu-dessus de tes mers plane comme un arôme,Et charge les esprits d'amour et de langueur.
Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses,Vénérée à jamais par toute nation,Où les soupirs des cœurs en adorationRoulent comme l'encens sur un jardin de roses
Ou le roucoulement éternel d'un ramier!— Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres,Un désert rocailleux troublé par des cris aigres.J'entrevoyais pourtant un objet singulier!
Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères,Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs,Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs,Entre-bâillant sa robe aux brises passagères;
Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez prèsPour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches,Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches,Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.
De féroces oiseaux perchés sur leur pâtureDétruisaient avec rage un pendu déjà mûr,Chacun plantant, comme un outil, son bec impurDans tous les coins saignants de cette pourriture;
Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondréLes intestins pesants lui coulaient sur les cuisses,Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices,L'avaient à coups de bec absolument châtré.
Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes,Le museau relevé, tournoyait et rôdait;Une plus grande bête au milieu s'agitaitComme un exécuteur entouré de ses aides.
Habitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau,Silencieusement tu souffrais ces insultesEn expiation de tes infâmes cultesEt des péchés qui t'ont interdit le tombeau.
Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes!Je sentis, à l'aspect de tes membres flottants,Comme un vomissement, remonter vers mes dentsLe long fleuve de fiel des douleurs anciennes;
Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher,J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoiresDes corbeaux lancinants et des panthères noiresQui jadis aimaient tant à triturer ma chair.
— Le ciel était charmant, la mer était unie;Pour moi tout était noir et sanglant désormais,Hélas! Et j'avais, comme en un suaire épais,Le cœur enseveli dans cette allégorie.
Dans ton île, ô Vénus! Je n'ai trouvé deboutQu'un gibet symbolique où pendait mon image…— Ah! Seigneur! Donnez-moi la force et le courageDe contempler mon cœur et mon corps sans dégoût!
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CXVII
L'AMOUR ET LE CRÂNE
VIEUX CUL-DE-LAMPE.L'amour est assis sur le crâne De l'Humanité,Et sur ce trône le profane Au rire effronté,
Souffle gaiement des bulles rondes Qui montent dans l'air,Comme pour rejoindre les mondes Au fond de l'éther.
Le globe lumineux et frêle Prend un grand essor,Crève et crache son âme grêle Comme un songe d'or.
J'entends le crâne à chaque bulle Prier et gémir:— "Ce jeu féroce et ridicule, Quand doit-il finir?
Car ce que ta bouche cruelle Éparpille en l'air,Monstre assassin, c'est ma cervelle, Mon sang et ma chair!"
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REVOLTE
CXVIII
LE RENIEMENT DE SAINT PIERRE
Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmesQui monte tous les jours vers ses chers Séraphins?Comme un tyran gorgé de viande et de vins,Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.
Les sanglots des martyrs et des suppliciésSont une symphonie enivrante sans doute,Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés!
— Ah! Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives!Dans ta simplicité tu priais à genouxCelui qui dans son ciel riait au bruit des clousQue d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives,
Lorsque tu vis cracher sur ta divinitéLa crapule du corps de garde et des cuisines,Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épinesDans ton crâne où vivait l'immense Humanité;
Quand de ton corps brisé la pesanteur horribleAllongeait tes deux bras distendus, que ton sangEt ta sueur coulaient de ton front pâlissant,Quand tu fus devant tous posé comme une cible,
Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beauxOù tu vins pour remplir l'éternelle promesse,Où tu foulais, monté sur une douce ânesse,Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,
Où, le cœur tout gonflé d'espoir et de vaillance,Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras,Où tu fus maître enfin? Le remords n'a-t-il pasPénétré dans ton flanc plus avant que la lance?
— Certes, je sortirai, quant à moi, satisfaitD'un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve;Puissé-je user du glaive et périr par le glaive!Saint Pierre a renié Jésus… Il a bien fait!
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