Цветы зла - Шарль Бодлер
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REVOLTE
CXVIII
LE RENIEMENT DE SAINT PIERRE
Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmesQui monte tous les jours vers ses chers Séraphins?Comme un tyran gorgé de viande et de vins,Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.
Les sanglots des martyrs et des suppliciésSont une symphonie enivrante sans doute,Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés!
— Ah! Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives!Dans ta simplicité tu priais à genouxCelui qui dans son ciel riait au bruit des clousQue d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives,
Lorsque tu vis cracher sur ta divinitéLa crapule du corps de garde et des cuisines,Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épinesDans ton crâne où vivait l'immense Humanité;
Quand de ton corps brisé la pesanteur horribleAllongeait tes deux bras distendus, que ton sangEt ta sueur coulaient de ton front pâlissant,Quand tu fus devant tous posé comme une cible,
Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beauxOù tu vins pour remplir l'éternelle promesse,Où tu foulais, monté sur une douce ânesse,Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,
Où, le cœur tout gonflé d'espoir et de vaillance,Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras,Où tu fus maître enfin? Le remords n'a-t-il pasPénétré dans ton flanc plus avant que la lance?
— Certes, je sortirai, quant à moi, satisfaitD'un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve;Puissé-je user du glaive et périr par le glaive!Saint Pierre a renié Jésus… Il a bien fait!
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CXIX
ABEL ET CAÏN
I Race d'Abel, dors, bois et mange;Dieu te sourit complaisamment.
Race de Caïn, dans la fangeRampe et meurs misérablement.
Race d'Abel, ton sacrificeFlatte le nez du Séraphin!
Race de Caïn, ton suppliceAura-t-il jamais une fin?
Race d'Abel, vois tes semaillesEt ton bétail venir à bien;
Race de Caïn, tes entraillesHurlent la faim comme un vieux chien.
Race d'Abel, chauffe ton ventreÀ ton foyer patriarcal;
Race de Caïn, dans ton antreTremble de froid, pauvre chacal!
Race d'Abel, aime et pullule!Ton or fait aussi des petits.
Race de Caïn, cœur qui brûle,Prends garde à ces grands appétits.
Race d'Abel, tu croîs et broutesComme les punaises des bois!
Race de Caïn, sur les routesTraîne ta famille aux abois.
II Ah! Race d'Abel, ta charogneEngraissera le sol fumant!
Race de Caïn, ta besogneN'est pas faite suffisamment;
Race d'Abel, voici ta honte:Le fer est vaincu par l'épieu!
Race de Caïn, au ciel monte,Et sur la terre jette Dieu!
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CXX
LES LITANIES DE SATAN
Ô toi, le plus savant et le plus beau des Anges,Dieu trahi par le sort et privé de louanges,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Ô Prince de l'exil, à qui l'on a fait tort,Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort.
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines,Guérisseur familier des angoisses humaines,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui, même aux lépreux, aux parias maudits,Enseignes par l'amour le goût du Paradis,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Ô toi qui de la Mort, ta vieille et forte amante,Engendras l'Espérance, — une folle charmante!
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui fais au proscrit ce regard calme et hautQui damne tout un peuple autour d'un échafaud,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui sais en quels coins des terres envieusesLe Dieu jaloux cacha les pierres précieuses,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi dont l'œil clair connaît les profonds arsenauxOù dort enseveli le peuple des métaux,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi dont la large main cache les précipicesAu somnambule errant au bord des édifices,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui, magiquement, assouplis les vieux osDe l'ivrogne attardé foulé par les chevaux,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui, pour consoler l'homme frêle qui souffre,Nous appris à mêler le salpêtre et le soufre,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui poses ta marque, ô complice subtil,Sur le front du Crésus impitoyable et vil,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui mets dans les yeux et dans le cœur des fillesLe culte de la plaie et l'amour des guenilles,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Bâton des exilés, lampe des inventeurs,Confesseur des pendus et des conspirateurs,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Père adoptif de ceux qu'en sa noire colèreDu paradis terrestre a chassés Dieu le Père,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
PRIÈRE Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteursDu Ciel, où tu règnas, et dans les profondeursDe l'Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence!Fais que mon âme un jour, sous l'Arbre de Science,Près de toi se repose, à l'heure où sur ton frontComme un Temple nouveau ses rameaux s'épandront!
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LA MORT
CXXI
LA MORT DES AMANTS
Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,Des divans profonds comme des tombeaux,Et d'étranges fleurs sur des étagères,Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.
Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,Qui réfléchiront leurs doubles lumièresDans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
Un soir fait de rose et de bleu mystique,Nous échangerons un éclair unique,Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux;
Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,Viendra ranimer, fidèle et joyeux,Les miroirs ternis et les flammes mortes.
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CXXII
LA MORT DES PAUVRES
C'est la Mort qui console, hélas! Et qui fait vivre;C'est le but de la vie, et c'est le seul espoirQui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,Et nous donne le cœur de marcher jusqu'au soir;
À travers la tempête, et la neige, et le givre,C'est la clarté vibrante à notre horizon noir;C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir;
C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiquesLe sommeil et le don des rêves extatiques,Et qui refait le lit des gens pauvres et nus;
C'est la gloire des dieux, c'est le grenier mystique,C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus!
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CXXIII
LA MORT DES ARTISTES
Combien faut-il de fois secouer mes grelotsEt baiser ton front bas, morne caricature?Pour piquer dans le but, de mystique nature,Combien, ô mon carquois, perdre de javelots?
Nous userons notre âme en de subtils complots,Et nous démolirons mainte lourde armature,Avant de contempler la grande CréatureDont l'infernal désir nous remplit de sanglots!
Il en est qui jamais n'ont connu leur Idole,Et ces sculpteurs damnés et marqués d'un affront,Qui vont se martelant la poitrine et le front,
N'ont qu'un espoir, étrange et sombre Capitole!C'est que la Mort, planant comme un soleil nouveau,Fera s'épanouir les fleurs de leur cerveau!
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CXXIV
LA FIN DE LA JOURNÉE
Sous une lumière blafardeCourt, danse et se tord sans raisonLa Vie, impudente et criarde.Aussi, sitôt qu'à l'horizon
La nuit voluptueuse monte,Apaisant tout, même la faim,Effaçant tout, même la honte,Le Poète se dit:"Enfin!
Mon esprit, comme mes vertèbres,Invoque ardemment le repos;Le cœur plein de songes funèbres,
Je vais me coucher sur le dosEt me rouler dans vos rideaux,Ô rafraîchissantes ténèbres!"
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CXXV
LE RÊVE D'UN CURIEUX
À F.N.
Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,Et de toi fais-tu dire: "Oh! l'homme singulier!"— J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse,Désir mêlé d'horreur, un mal particulier;
Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.Plus allait se vidant le fatal sablier,Plus ma torture était âpre et délicieuse;Tout mon cœur s'arrachait au monde familier.
J'étais comme l'enfant avide du spectacle,Haïssant le rideau comme on hait un obstacle…Enfin la vérité froide se révéla:
J'étais mort sans surprise, et la terrible auroreM'enveloppait. — Eh quoi! N'est-ce donc que cela?La toile était levée et j'attendais encore.
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CXXVI
LE VOYAGE
À Maxime Du Camp.
I Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,L'univers est égal à son vaste appétit.Ah! Que le monde est grand à la clarté des lampes!Aux yeux du souvenir que le monde est petit!
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,Le cœur gros de rancune et de désirs amers,Et nous allons, suivant le rythme de la lame,Berçant notre infini sur le fini des mers:
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme;D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,La Circé tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrentD'espace et de lumière et de cieux embrasés;La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partentPour partir; cœurs légers, semblables aux ballons,De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!
Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,De vastes voluptés, changeantes, inconnues,Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom!
II Nous imitons, horreur! La toupie et la bouleDans leur valse et leurs bonds; même dans nos sommeilsLa Curiosité nous tourmente et nous roule,Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.
Singulière fortune où le but se déplace,Et, n'étant nulle part, peut être n'importe où:Où l'Homme, dont jamais l'espérance n'est lasse,Pour trouver le repos court toujours comme un fou!
Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie;Une voix retentit sur le pont:"Ouvre œil!"Une voix de la hune, ardente et folle, crie:"Amour… Gloire… Bonheur!"Enfer! C'est un écueil!
Chaque îlot signalé par l'homme de vigieEst un Eldorado promis par le Destin;L'Imagination qui dresse son orgieNe trouve qu'un récif aux clartés du matin.
Ô le pauvre amoureux des pays chimériques!Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,Ce matelot ivrogne, inventeur d'AmériquesDont le mirage rend le gouffre plus amer?
Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,Rêve, le nez en l'air, de brillants paradis;Son œil ensorcelé découvre une CapouePartout où la chandelle illumine un taudis.
III Étonnants voyageurs! Quelles nobles histoiresNous lisons dans vos yeux profonds comme les mers!Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.
Dites, qu'avez-vous vu?
IV "Nous avons vu des astresEt des flots; nous avons vu des sables aussi;Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.
La gloire du soleil sur la mer violette,La gloire des cités dans le soleil couchant,Allumaient dans nos cœurs une ardeur inquièteDe plonger dans un ciel au reflet alléchant.
Les plus riches cités, les plus grands paysages,Jamais ne contenaient l'attrait mystérieuxDe ceux que le hasard fait avec les nuages.Et toujours le désir nous rendait soucieux!
— La jouissance ajoute au désir de la force.Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais,Cependant que grossit et durcit ton écorce,Tes branches veulent voir le soleil de plus près!
Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivaceQue le cyprès? — pourtant nous avons, avec soin,Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin!
Nous avons salué des idoles à trompe:Des trônes constellés de joyaux lumineux;Des palais ouvragés dont la féerique pompeSerait pour vos banquiers une rêve ruineux;
Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse;Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,Et des jongleurs savants que le serpent caresse."
V Et puis, et puis encore?
VI "Ô cerveaux enfantins!
Pour ne pas oublier la chose capitale,Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché:
La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût;L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout;
Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote;La fête qu'assaisonne et parfume le sang;Le poison du pouvoir énervant le despote,Et le peuple amoureux du fouet abrutissant;
Plusieurs religions semblables à la nôtre,Toutes escaladant le ciel; la Sainteté,Comme en un lit de plume un délicat se vautre,Dans les clous et le crin cherchant la volupté;
L'Humanité bavarde, ivre de son génie,Et folle, maintenant comme elle était jadis,Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie:"Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis!"
Et les moins sots, hardis amants de la Démence,Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,Et se réfugiant dans l'opium immense!— Tel est du globe entier l'éternel bulletin."
VII Amer savoir, celui qu'on tire du voyage!Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image:Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui!
Faut-il partir? Rester? Si tu peux rester, reste;Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapitPour tromper l'ennemi vigilant et funeste,Le Temps! Il est, hélas! Des coureurs sans répit,
Comme le Juif errant et comme les apôtres,À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,Pour fuir ce rétiaire infâme; il en est d'autresQui savent le tuer sans quitter leur berceau.
Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,Nous pourrons espérer et crier: En avant!De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,
Nous nous embarquerons sur la mer des TénèbresAvec le cœur joyeux d'un jeune passager.Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,Qui chantent:"par ici! Vous qui voulez manger
Le Lotus parfumé! C'est ici qu'on vendangeLes fruits miraculeux dont votre cœur a faim;Venez vous enivrer de la douceur étrangeDe cette après-midi qui n'a jamais de fin!"
À l'accent familier nous devinons le spectre;Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous."Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre!"Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.
VIII Ô Mort, vieux capitaine, il est temps! Levons l'ancre!Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons!Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte!Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe,Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau!
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